LE PARTICIPATIF FINANCIER
La croissance forte des relations financières
directes entre les épargnants et les projets et jeunes entreprises révèle une transformation
profonde des comportements et ouvre des
perspectives en termes d’accomplissement
personnel et de traitement des défis sociaux
et de la transition. Il y a quelques jours ont été
fêtés les 10 ans de Financement Participatif
France qui réunit les acteurs du «crowdfunding».
Cet anniversaire fait écho à celui de France
Angels (20 ans en 2001), qui réunit les réseaux
de business angels. Il y a certes des différences
entre ces 2 mouvements, mais on peut leur
trouver un sens commun, celui de l’ouverture
progressive à l’ensemble de nos compatriotes
de la capacité à décider soi-même des projets
et entreprises destinataires de son épargne.
Dans nos sociétés protectrices on est porté,
insensiblement, à réserver les prises de
décisions essentielles à un nombre réduit de
personnes (experts, élus, administrateurs,
gestionnaires de fonds, etc.). La masse des
individus étant invitée à se cantonner à des
statuts dans lesquels les perceptions de la
réalité sont étriquées (consommateur, électeur,
contribuable, participant aux jeux de hasard,
détenteur d’un compte bancaire, contributeur à
divers fonds, etc.). Cette dé-responsabilisation
présente évidemment des inconvénients sur le
plan de l’accomplissement personnel, mais aussi
pour le bien commun, parce que les logiques
collectives ont des limites intrinsèques.
Prenons l’exemple de la finance verte. Confier son
argent à un fonds sur une promesse vertueuse,
c’est risquer une tromperie : .Rapport de l’Inspection Générale des Finances :
«… à moins qu’il n’évolue rapidement le label ISR
s’expose à une perte inéluctable de crédibilité
et de pertinence car il fait à l’épargnant une
promesse confuse»… les fonds ISR labellisés
en France c’est 461 milliards d’€ fin 2020, Étude de l’ONG Influence map : «71% des 593
fonds commercialisés avec mots-clés ESG
climat (265 milliards d’euros d’actifs) sont en
contradiction avec l’accord de Paris» (https://
financemap.org/climate-funds-data),
Voir aussi l’ouvrage «L’illusion de la finance
verte» de Lefournier et Grandjean.
A l’inverse, l’individu qui finance directement un
projet dispose d’informations et de capacités
de suivi incomparables.
Le lien direct, la proximité et l’intensité du choix
(et du risque pris) confèrent à la relation directe
des vertus particulières : le suivi, le respect
des engagements et des finalités sont mieux
assurés, sans qu’il soit nécessaire de réaliser
de coûteuses évaluations ni d’établir d’illusoires
labels. Les individus entrepreneurs et financeurs
des projets en créations- ont une qualité
supplémentaire : ils sont prêts au risque, au
pari, à l’aventure entrepreneuriale. Ne demandez
pas à un banquier, à un gestionnaire de grands
fonds, serait-il «expert», de prendre un risque. Là
où la froide logique d’investissement et l’image
professionnelle prévalent, point d’initiatives
pionnières, on attend que le marché ait très
clairement fait le tri entre les projets. L’innovation
et la compétitivité ont pourtant le plus grand
besoin des tâtonnements entrepreneuriaux,
qui vont permettre de sélectionner les pépites
et belles entreprises futures.
Proposer des dispositifs dans lesquels chacun
peut être en situation d’apprécier les destinations
et conséquences finales de ses actions, et en
situation de désirer, de connaître, de choisir,
d’agir, de suivre les projets, les initiatives et
les créations entrepreneuriales, etc., c’est
favoriser l’accomplissement des personnes et,
l’expérience l’atteste, c’est aussi contribuer au
traitement des défis du moment : les individus
responsables vont massivement soutenir, sans
qu’il soit nécessaire de leur asséner les prêches
habituels, les projets et entreprises qui traitent
ces défis !
L’étude de Financement Participatif
France sur les motivations des contributeurs
souligne la part très majoritaire de ces choix
dits «aspirationnels» (enquête FPF 2018).
France Angels et ses réseaux, puis Financement
Participatif France et ses plateformes
ont contribué à cette redistribution des
responsabilités.
Il y eut une conjonction étonnante dans cette
histoire. Au sein de France Angels, nous avions
remarqué, quelques années avant 2010, qu’une
catégorie nouvelle de personnes, aux moyens
financiers inférieurs à ceux des business angels
classiques, souhaitaient également investir. Il y avait «une demande»en que nous ne savions pas traiter. Et, très
peu de temps après, est apparue Wiseed, la 1ère plateforme dédiée
au capital (au monde !), qui apportait précisément une solution à ces
«petits investisseurs» et aux jeunes pousses ! Tout cela alors que les
plateformes de dons apparaissaient également.
Les porteurs de solutions (plateformes numériques) avaient pressenti
le besoin croissant de responsabilité des porteurs de projets et des
épargnants.
Les institutions publiques -Fleur Pellerin est à citer- jouèrent parfaitement

le jeu pour adapter la réglementation. Les motifs allégués jusque-là pour interdire ces relations directes, le manque de discernement
des épargnants ordinaires, les garanties qu’apporteraient les fonds
ou approches collectives, les risques de dévoiements, etc., tout cela
fut balayé !
L’expérience a confirmé la pertinence de ce pari dans les énergies
personnelles et collectives : les risques que la réglementation antérieure
était censée éviter n’étaient pas avérés !
Il est remarquable qu’un tel pari, celui de la confiance dans les capacités
et la responsabilité de nos compatriotes, se soit avéré positif.
Si la couverture géographique des réseaux de business angels et
leur activité progressent, si la finance participative touche désormais
une part significative de la population (2 milliards d’€ en 2021, soit +
84%/2020, et 4,1 millions de Français en 2021, dont 26 000 apporteurs
de capitaux), des marges de progrès considérables restent possibles.
Nul ne peut désormais ignorer qu’il peut orienter son épargne, et que,
s’il ne l’oriente pas lui-même, des intermédiaires s’en chargeront, pour
des finalités qu’il n’aura pas choisies. Cette maîtrise peut également
s’opérer à l’échelle territoriale : l’épargne, actuellement croissante, est
de plus en plus engagée à l’extérieur du territoire (de 29% à 43% en
20 ans, selon une étude de la Banque de France). Ceux des territoires
qui intègrent cette responsabilité d’orientation vers les projets locaux
(Corrèze, Ardèche, Auvergne-Rhône-Alpes, etc.) obtiennent des résultats
significatifs.